le petit soir

Un soir,
un petit soir
oublié tout seul dans un coin d’un grenier
se plaignait doucement, très doucement et personne ne l’entendait.
Ce soir n’avait pas eu de chance, il était tombé entre deux jours de fête.
Son papa et sa maman l’avaient oublié derrière eux, ils étaient tellement occupés à faire la fête
(une grande fête d’équinoxe qui durait toute la semaine) et lui,
maladroit, encore petit, était tombé entre deux journées et n’avait pu se raccrocher ni à l’une ni à l’autre,
il avait glissé.
Et finalement il avait atterri dans ce coin de grenier, tout triste et ne sachant que faire.

Les autres soirs, eux, les grands soirs, se partageaient le temps et l’espace comme à l’ordinaire sans le moindre souci de lui.
Ils avaient fort à faire tout autour du monde, et le faisaient fort bien. Jamais il n’y eut de plus beaux techniciens que ces grands soirs qui fermaient les fleurs, qui entraient en douceur dans les maisons par les fenêtres, se posaient sur les choses et leur faisaient l’amour, d’une couleur.
Ils empruntaient les nuages pour voyager et parfois accrochaient des foulards de soie aux murs des maisons où ils passaient. Ils ne craignaient rien, ils faisaient courir sur leurs doigts les rutilements les plus fous, pianotaient sur les les mers, surfaient sur les montagnes. Puis ils plongeaient dans la nuit et ils la traversaient, car ils étaient immortels.

Mais lui, le petit soir oublié, ne savait rien de tout cela, dans ce coin de grenier qui n’était ni de jour ni de nuit mais seulement de bois sec et bien protégé du vent et de la pluie, du jour et de la nuit, et où personne ne vivait.
Il n’osait pas bouger.
Mais tout de même il respirait.
Et il venait de s’apercevoir qu’il était tout seul, avec les vieilles planches du grenier.
Alors, il a lâché sa peur et s’est laissé aller à grandir, à grandir...
et un petit soir qui se laisse aller a vite fait d’envahir un grenier. Le bois s’est réchauffé, il a craqué, et de très loin les gens ont vu, pour la première fois, le petit grenier éclairé.
Ils ont accouru, intrigués, émerveillés vers ce petit nuage couleur d’or et de rose qui débordait par toutes les fentes du bois, par la lucarne et par la cheminée.
Quelqu’un cria «Attention ! Il va s’échapper !»
Et c’est vrai que la petite cabane semblait ne plus pouvoir le contenir.
«Allez chercher des cordes, des échelles, des fourches et des filets !» cria l’homme.
On apporta des cordes, des échelles, des fourches et des filets, et on captura le soir, qui ne savait pas se défendre, qui n’avait encore rien appris. Il s’était à nouveau fait tout petit et l’homme, qui avait fini de crier, n’eut aucune peine à l’enfermer dans une petite boîte d’allumettes et à l’emporter avec lui.
Ouh ouh... faisait le vent
Ouh ouh... faisaient les gens qui rentraient tristement dans la nuit froide et dure.
Seul le voleur de la boîte avait chaud parce qu’il courait et que son cœur battait à l’idée de tous les sous qu’il allait gagner grâce à la boîte.
Soudain il buta contre une racine, prit un coup sur la tête et tomba. Quelqu’un lui prit la boîte et partit à toute vitesse pour la cacher très loin dans une grotte.
Ouh ouh... faisaient les gens
Ouh ouh... faisait la nuit dure et froide qui lui soufflait au visage et l’homme dut baisser la tête, fermer les yeux et ne retrouva jamais plus son chemin.

Mais là-haut, au bord de la nuit brillante, tous les soirs étaient occupés à se rassembler et à s’éclabousser en attendant les derniers retardataires.
Le petit soir oublié était déjà là.
Quelqu’un lui expliquait : «Tu sais, nous les soirs, on ne peut pas rester sur terre quand vient la nuit.
Même si on le voulait, même si on était enfermé dans une petite boîte d’allumettes on ne le pourrait pas. La nuit nous appelle, elle nous attire et puis... elle nous avale. Allez viens, tu vas voir comme c’est bon !»

Et ils plongèrent dans la nuit.

3 commentaires:

Daniel a dit…

Texte sublime !! ;))

Anonyme a dit…

Oui
Bref et l'air de rien,
c'est un peu magique ce petit conte du soir,
Et ça doit parler à bien des enfants où à celui qui est resté en nous

Valérie

lanlanhue a dit…


la vie magnifique du petit soir !