l'arbre

C’était pas difficile de faire l’amour avec un arbre.
C’était même très simple, et très naturel. Il suffisait de placer au mieux ses pieds, ses jambes,
compte tenu de la forme particulière de l’arbre choisi.
Le mien était un platane et c’est cette sorte d’énorme patte d’oie qu’ils ont, contre laquelle j’ai buté, qui m’a un instant déconcerté : il fallait que je plonge en avant pour étreindre l’arbre.
J’ai plongé.
Je crois qu’il n’y avait personne sur la place mais j’avais regardé très vite et très peu de peur d’y voir quelqu’un et de reculer.
J’avais pris l’arbre dans mes bras. Et j’adorais enfin sans retenue, des mains, des épaules, de la joue, l’écorce doucement rugueuse, les méandres gris, l’aquarelle en peau de mer.
J’étais à nouveau l’enfant tel qu’en moi-même !
Je serrais l’arbre dans mes bras...et là-haut, le ciel bleu d’autrefois ! où repartait la croisière des nuages... où reprenait toute l'enfance son cours interrompu.
Il était temps : l’arbre portait toujours sa pêche miraculeuse d’ocres, en boules, en chapelets, en guirlandes, devant laquelle je m’étais épuisé de mots tout l’hiver, à vouloir répondre aux musiques qu’elle agitait en silence, accueillir en moi sa foison légère et monter à l’assaut de ses feuilles dans ma tête guerrière, pour retomber perdant de cette alchimie, tout chaud dans mes cuisses et crûment éclairé sur mon désert.
J'avais couru dehors.
Je tenais l’arbre dans mes bras.
Je me sentais soudain serrant ce tronc énorme, d’une solidité, d’une matérialité inattendue :
c’était un arbre !
J'ai voulu le lâcher... regarder autour de moi, retrouver le monde... mais je ne pouvais plus me détacher de lui... j'aurais dû faire un grand pas... je n'y arrivais pas... ma poitrine comme soudée à l’arbre.
Il faisait chaud.
J’entendais quelque chose, en moi... comme un bruit de succion... l’enfant ! le gosse ! il tétait l’arbre ! collé à lui, comme une ventouse, le gosse tétait !
Je le laissai faire, un peu, le cœur battant.
Puis m’écartai, d’un coup.
Vloum ! le gosse me ressauta dans la poitrine, comme un mouton.
J’avais charge d’âme.
Je marchai.
Le gosse poussait en moi. Je le portais. J’étais homme et enfant, maintenant.
Heureux comme un nouveau né, je marchais grandi et fier, dans l’avenue.
Le gosse s’agitait, il réclamait, il exigeait.
Au premier platane, impérativement, il voulait téter... je devais étreindre l’arbre, à nouveau... m'approcher, vite, tremblant, lui donner l'arbre. L'apaiser.
J'allongeais le pas, je grandissais, je ne savais plus où aller, toute l’avenue était plantée de platanes, magnifiques, aux troncs blancs, tachés de lait. Il fallait le faire téter, à nouveau. Ces écorces que j'avais tant admirées m'affolaient maintenant.
Je partis en direction de la colline.
Je m’habituais à lui, il grandissait, il m’emplissait. Il était insatiable, je m’arrêtais aux arbres...
tout le temps, pour le nourrir. Il profitait.
Il devenait fort.
En quelques jours déjà il commençait à m’encombrer, bientôt il me gênait, malgré ma tendresse, mon dévouement pour lui. En moins d’une semaine il était si fort que je n’en pouvais plus,
que je me résolus à l'abandonner.
Il avait les moyens d’être autonome, il était temps de nous séparer,
qu’il vive sa vie !
J’allai dans la forêt.
Parmi les arbres.
Je décidai d'attendre la nuit, qu’il s’endorme.
Je le ferais téter et le laisserais là, sur un arbre. Je m’étais muni d’une longue corde, pour m’attacher à l’arbre, au cas où le sommeil me gagne avant lui.
Je choisis l’arbre, je le mis à téter. Je m’attachai solidement avec la corde. Mon corps bientôt tout engourdi, mes bras, mes jambes, mes veines, je m'endormis.
Au petit jour je me sentis accroché à lui comme du lierre,
des chants d’oiseaux, limpides, cristallins, coulaient de toutes parts.
Jamais n'avais-je encore perçu de sons si clairs et si flûtés,
si harmonieux, semblant venir d’aussi loin, partir dans toutes les directions de la forêt.
Mes oreilles soudain agrandies se dressaient,
lissées, pointées et effilées.
Le jour se levait, un frisson léger glissait le long de mon échine,
soulevait la tiédeur dans ma fourrure, éveillait la force dans mes flancs
et la puissante chaleur qui montait, écartait ma poitrine, gonflait ma gorge, venait éclater et jaillir enfin dans un long hurlement, cou tendu,
museau dressé vers le ciel
bondissant hors de l’arbre,
léger, rapide,
conquérant
je sortis de la forêt.


2 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci pour cette sève d'enfant et d'homme, pour la force et l'énergie.
Merci aux mots pour les dire,
à la main qui tient la plume,
à la pensée qui déambule dans le coeur.

Anonyme a dit…

Enfant, je ne faisais pas l'amour aux arbres : je grimpais dedans lorsqu'ils étaient vivants, je sautais dessus lorsqu'ils étaient morts.
Un peu plus grande, j'ai attrapé le vertige, et je préférais me coucher dessous, pour m'enivrer à l'aise dans les hauteurs de leurs frondaisons.
Plus grande encore, j'ai aussi enlacé un arbre, et puis un ou deux autres (pas plus parce que la première fois fut la meilleure). C'étaient des pins nord-américains. A l'écorce rugueuse et collante. Et j'ai ressenti aussi la puissante solidité du tronc.
Maintenant je suis mariée à un homme qui enregistre les sons que fait la sève en montant dans les arbres...
Sonia M.